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La Twiza

La Twiza : entraide d’hier et d’aujourd’hui

La Twiza est une structure organisée qui se crée par nécessité et s’estompe une fois le problème résolu, pour reprendre si nécessaire. Elle est un ensemble d’éléments interdépendants dont la complémentarité des différences crée la dynamique du développement. Dans ce sens elle est une unité fonctionnelle qui vise le dépassement d’un déséquilibre : c’est donc un phénomène psychosociologique qui s’inscrit dans les stratégies d’adaptation.
Nous allons donc démontrer à partir de l’analyse de la Twiza comme travail collectif non rémunéré, le pourquoi de cette pratique, de sa persistance, ses avantages et ses inconvénients ; et pourquoi la société actuelle, dans son ensemble, devrait peut-être puiser dans cette forme d’organisation certains principes qui y régulent l’éthique, l’entente, la cordialité et la solidarité.
En effet, Twiza individuelle et Twiza collective semblent résister en se transformant à la généralisation de la « société-moderne » et s’expriment en fonction de l’appartenance au même statut socio-économique, socioprofessionnel, politique et/ou ethnique (dans le Touat, le Gourara, le M’zab et en Kabylie, etc.)
Cette organisation par sa résilience semble répondre à des besoins économiques bien sûr, mais aussi éthiques et relationnels très importants qui maintiennent la cohésion et les liens entre les groupes et les individus. Si le partage des connaissances, des expériences caractérise toutes les sociétés, le maintien et le développement de ces pratiques peut devenir un moyen de ressouder nos sociétés « modernes » qui ont tendance à s’enfermer dans le technicisme et le chacun pour soi.

La Twiza : entraide d’hier et d’aujourd’hui

Aidons-nous mutuellement la charge de nos maux en sera légère .Florain Fables (l’aveugle et le paralytique)
En matière de satisfaction psychologique et psychosociologique, l’appât du gain n’est pas toujours la solution unique et durable pour amener la personne à participer davantage. D’autres réalités répondant aux besoins psychologiques et psychosociologiques sont d’une importance capitale et ont été soulignées dans les recherches portant sur l’entreprise ou le management d’une manière générale.
L’étude de la Twiza nous montre que la rémunération, l’intéressement et la participation, comme facteurs mobilisateurs d’énergie, n’ont de sens que s’ils sont placés dans leur contexte et jugés à partir de l’éthique que prône l’univers du travail. Une augmentation de salaire, une amélioration du système de rémunération, des intéressements allant jusqu’à faire de l’ouvrier un actionnaire, n’ont de sens qu’en fonction des besoins qu’éprouve la personne et restent, de ce fait, liés à la représentation et au vécu qu’elle s’en fait, elle et son entourage. De là découlent deux postulats inclus dans l’éthique de toute entreprise :
 Tout acte visant à la production ou à la transformation d’un objet en vue d’une éventuelle consommation implique une certaine récompense (gratification) pour celui qui le fait ou l’exécute. La valeur symbolique ou matérielle de cette compensation et la représentation que s’en fait l’intéressé vont induire un champ d’attraction ou de répulsion, qui dépend, en grande partie, de la signification que lui accorde l’intéressé, mais également de la réponse que cette rémunération présente par rapport aux besoins mobilisateurs d’énergie qui produit et motive tout acte. Il s’ensuit soit un renforcement soit une extinction de la motivation à tout ce qui touche l’univers dans lequel s’inscrit l’acte producteur.
 Toute participation ne peut se faire que si les individus sont motivés. Pour mesurer l’amplitude de la motivation, il faut saisir les mobiles qui la sous-tendent et la suscitent.
Dans ces deux optiques, nous allons essayer :
1) De montrer à partir de l’étude de la Twiza [2] , comme acte collectif non rémunéré, le pourquoi de cette pratique, de sa persistance, ses avantages et ses inconvénients ;
2) De montrer en conclusion que le principe régulateur de tout acte de travail dans un organisme donné pose un postulat de départ, un principe régulateur : celui de l’éthique propre à toute forme de travail et de vie en communauté.
Analyser les formes d’entraide qui naissent ou qui disparaissent revient à chercher et à souligner toutes les composantes d’une réalité socioculturelle qui ont été oblitérées par des « rationalisations » aveugles du travail en équipe, parce qu’elles étaient estimées détachables à loisir.
On ne dépose pas ses habitudes, ses convictions, sa réalité psychologique et culturelle aux vestiaires pour les reprendre à la sortie du travail. Depuis Elton Mayo, on ne peut plus ignorer l’importance de la dimension humaine dans les relations de travail.
La Twiza : Travail collectif par nécessité
Que ce soit dans les villages en Kabylie, dans les Ksours et dans les oasis du sud, dans les quartiers des grandes villes ou dans les ateliers des entreprises publiques et privées, l’entraide a toujours été une activité nécessaire et fondamentale pour les personnes qui ont choisi ou qui sont amenées à vivre ou à travailler en collectivité. Quelle que soit la forme dans laquelle elle s’exprime, elle reste avant tout, une réponse à une nécessité, à un besoin. Elle est au sens Sartrien une réponse à la rareté de moyens et d’objets nécessaires à la vie et à la survie.
Quelques exemples nous permettent de mieux saisir son importance :
a) Dans les grandes villes où les constructions concentrationnaires et l’habitat en immeuble ne répond pas à la pratique culturelle de l’entraide qu’imposent les pratiques sociales de groupe telles que circoncision, cérémonie de mariage, deuil, alors qu’à cela ne tienne, les habitants se sont organisés naturellement pour suppléer au manque d’espace par l’achat collectif du nécessaire, à savoir une grande tente ou en aménageant les caves afin d’accueillir le travail des femmes, ils ont également acheté des ustensiles, des bancs, des chaises et des tables (meida). Cet espace et ce matériel sont mis à la disposition du « collectif » habitants en cas de besoin personnel (mariage circoncision, fêtes) ou urgence collective (intempéries).
b) Pour la construction d’habitats personnels, après le travail ‘légal’, cette forme de Twiza se trouve plus souvent chez les ouvriers et artisans et est motivée par le compter sur soi et une forme d’autonomie, alors que les milieux intellectuels répugnent à l’utiliser car perçue comme un « aveu de besoin » et donc la peur du qu’en dira-t-on.
A- Définition
Twiza ou Twizi est une pratique connue sur l’ensemble du territoire algérien et maghrébin. Le mot Twiza ou Twizi est dérivé de la racine berbère wiz ou Iwaz qui signifie ‘aider’, mais également le col d’une montagne d’accès difficile et périlleux (il est aisé de faire le rapprochement entre la difficulté d’emprunter un passage périlleux dans la montagne et l’entraide comme nécessité de survie).
Ainsi la Twiza signifie s’entraider, s’épauler, se seconder. Elle a d’autres termes équivalents dans le berbère et le parler arabe.
Tous ceux qui ont eu à parler de la Twiza la présentent comme étant « une corvée volontaire » que s’imposent les membres d’un groupe d’une communauté, pour s’entraider dans certaines occasions, comme la moisson, la cueillette des olives et des dattes, le dépiquage, la couverture d’une maison, la construction et l’entretien des lieux de culte, de l’environnement (désensablage), etc.
On distingue deux sortes de Twiza :
1) La Twiza d’intérêt collectif
Elle est décidée en fonction des travaux d’intérêt commun à toute la collectivité. C’est généralement, pendant les réunions publiques (Djemaa) ou à la mosquée que la décision est prise. Une fois l’accord établi sur un point (objet, temps, finalité du travail), tous sont censés savoir à quoi s’en tenir et les présents avertissent les absents, et pour parer à l’oubli un “crieur” “annonceur”, le berrah passe dans les lieux publics (café, marché) et dans les ruelles pour informer de la nature, de la date et du lieu de rencontre. La pratique du berrah ne se perpétue, jusqu’à nos jours, que dans la ville de Mostaganem en ce qui concerne [3] . Dans les années 89 à 91 les mosquées étaient utilises pour des annonces, par le truchement des haut-parleurs.
Cette pratique est réglementée par le droit coutumier auquel s’ajoutent certains principes de la Charia. Tout contrevenant subit une pénalité qui va de la simple [4] à payer, à l’exclusion du groupe en passant par la mise en quarantaine. Ainsi, se maintient la cohésion de la communauté à partir de ce principe accepté de tous parce que conforme à la coutume et à la religion. La loi est connue de tous et les conséquences qu’elle fait encourir aux personnes sont admises et acceptées une fois pour toutes. Cependant, si ce phénomène fonctionne en vase clos (les étrangers sont rarement initiés à cette loi : cas de l’Ibadisme) jusqu’à nos jours, cela serait imputable à l’inexistence d’un droit algérien capable de réguler les relations entre les citoyens sans aucune contradiction ni ségrégation de quelque nature que ce [5] .
2) la Twiza d’intérêt individuel
Une personne (ou une famille) qui veut faire une Twiza prévient les gens chez eux ou sur les endroits publics (jour de souk, place ou mosquée) et leur demande s’ils acceptent de venir travailler chez elle à charge de revanche. Cette Twiza volontaire au service d’un particulier n’est pas à participation obligatoire. La personne qui refuse ses services pour une raison non justifiable aux yeux des autres n’est pas blâmée par la loi communautaire, elle le sera par l’esprit de cordialité et les lois du voisinage [6] . Qu’elle soit individuelle ou collective, la Twiza n’est pas le propre des hommes uniquement. Elle concerne également, et selon les mêmes principes, les femmes dans les travaux que la communauté leur délègue : les Mawassim et les jours de la Chadda ou Hazza (difficulté), mariages, cérémonies religieuses. Même les enfants sont de la partie, que ce soit avec les hommes ou avec les femmes.
Ainsi, à chaque fois que le travail dépasse les capacités et les moyens d’un individu ou d’un groupe d’individus, il y aura recours à la Twiza. Si cette pratique fait référence à la société traditionnelle, qu’en est-il actuellement ?
B. Bref historique et évolution de la pratique twizi
La Twiza est passée par différentes étapes, elle a failli disparaître, mais à chaque fois elle renaît sous des formes inattendues ce qui implique qu’elle répond à des besoins que ni la colonisation, ni l’Etat moderne Algérien n’ont pu satisfaire.
a- Les différents changements intervenus dans la société traditionnelle algérienne pendant la colonisation (période d’intégration des différentes communautés arabo-musulmanes et berbères aux structures organisationnelles coloniales [7] ), auxquels s’ajoutent l’extension de l’administration civile à l’ensemble du territoire national, ont fait reculer les modes d’organisation traditionnels. Les chefs de la tribu, la Djemaa, sont remplacés par le président de l’assemblée populaire communale [8] (le maire). Elu par l’ensemble de la population, il est désormais le seul représentant reconnu par l’Etat. Toutes les activités d’utilité publique vont être à la charge de l’Etat. La Twiza, obligatoire dans les règles communautaires, disparaît, sauf de la palmeraie au M’zab, dans des oasis et dans des dachrates reculées de la grande Kabylie qui, ne relevant pas de la propriété de la commune, restent à la charge de leurs habitants et propriétaires.
b- Depuis l’indépendance : Si la Twiza obligatoire d’utilité publique a presque disparu, remplacée par des travailleurs rémunérés par la commune, nous assistons depuis la baisse des revenus pétroliers (1985) à un phénomène d’organisation qui n’est pas loin de rappeler l’entraide communautaire sous le nom « d’associations d’aide ». Des personnes se regroupent afin de prendre en charge leurs problèmes qui ne relèvent plus des « urgences de l’Etat. » En 1989 est née une association appelée justement « Twiza » et est définie comme « une association nationale de volontariat » qui a pour objectif de ne pas « laisser les jeunes livrés à eux-mêmes, sans motivation ni engagement », ... « de les aider à se constituer un idéal en les mobilisant par le moyen de l’action volontaire autour de tâches d’utilités collectives » [9].
Ce phénomène n’est pas récent en Algérie. L’entraide a toujours été présente sur la scène socio-économique. A chaque fois que le peuple se trouve devant des difficultés qui impliquent la communauté, il réagit en faisant appel à l’entraide, ainsi à l’indépendance les travailleurs de l’industrie, de l’agriculture et de l’administration ont pris spontanément en main, après, le départ massif des colons, le fonctionnement des secteurs des biens et services. Cette action fut connue sous le nom de « système de gestion autogérée. » [10]
En 1972, la révolution agraire va faire apparaître la même solidarité : le volontariat des étudiants [11]. A partir de 1975, le volontariat a été élargi à toutes les organisations de masse affiliées au Front de Libération Nationale (FLN). L’euphorie et l’enthousiasme du geste volontaire vont s’éteindre avec la tentative de récupération du mouvement par différentes idéologies. Il ne va plus réapparaître que dans les périodes de sinistres graves tels que le tremblement de terre d’El Asnam en 1980, des massacres collectifs de 96-97, les inondations de Bab-el-Oued en 2001 et lors du tremblement de terre de mai 2003.
Deux raisons sont à l’origine de l’échec de cette forme d’entraide (le volontariat) et font toute la différence entre l’entraide twizi et le volontariat :
a) Le volontariat est un engagement librement consenti sans la contrainte de la loi. La Twiza est une forme d’obligation, qu’elle soit d’intérêt individuel ou collectif, elle obéit à une règle de conduite acceptée de tous et canalisant l’identité de l’individu dans le cadre du groupe social.
b) Dans la Twiza, la réciprocité de l’acte consenti est une règle incontournable protégée par l’existence de sanctions. Le volontariat, par contre, est une aide apporté à quelqu’un, un effort consenti en vue d’un idéal, mais sans qu’il y ait obligation pour le bénéficiaire de rendre le service en retour.
En plus, chaque fois qu’il y a eu entraide à grande échelle, le mouvement (volontariat ou autres appellations) a été récupéré et structuré, « rationalisé » dans des modèles d’organisation ne correspondant ni à la nature et à la conception de cette forme d’entraide, ni à la représentation et au vécu qu’en ont les concernés. Le mouvement qui, au départ, était mobilisateur d’énergie, a fini par faire fuir les volontaires. L’entraide, devenant obligatoirement soumise à l’idéologie du pouvoir et structurée de façon hiérarchique, va fuir toute la sphère étatique pour s’exprimer à une échelle plus réduite (petites localités, quartier, familles, etc.)
c- le développement et la généralisation du salariat à tous les niveaux de l’activité économique, l’émergence de nouveaux besoins qui nécessitent de la monnaie pour être satisfaits, vont faire reculer la Twiza d’utilité individuelle (sauf pour les catégories à faible revenu ou paupérisées).
La monnaie va tenir une place importante entre les personnes [12] . L’argent sera la contrepartie la plus recherchée dans les rapports de travail et d’échange, le troc va petit à petit disparaître complètement.
Cependant, si les deux formes de Twiza ont reculé devant l’avancée des nouveaux rapports sociaux instaurés par la « vie moderne » [13] , d’autres formes d’entraide semblent résister à ces changements et s’expriment en fonction de l’appartenance au même statut socio-économique, socioprofessionnel ou sociopolitique et/ou ethnique (dans le Touat, la Gourara, le M’zab et en Kabylie) et se trouvent actuellement :
  Lors des mawassims et les ouaadi (waad=rencontre périodique autour d’un M’rabet (un saint), qui fonctionnent également comme rendez-vous de consolidations des liens sociaux.
  Dans la construction et l’entretien des lieux de culte, ainsi en 1986, 6128 mosquées ont été construites grâce à des Twizas. Le coût de ces réalisations varie de 400 000 dinars à 5 millions de dinars [14] . Ce chiffre augmente d’année en année. Cela se comprend lorsqu’on sait que toute personne, qui a contribué à la construction d’une maison ou d’un lieu pour prier Dieu, aura l’équivalent de son geste au paradis.
  Dans la création et la réalisation de P.M.E. [15] à caractère communautaire ou familial ;
  Dans les comités de quartiers et d’immeubles et les associations de locataires pour la sauvegarde et l’entretien du lieu collectif ou pour répondre à des nécessités vitales.
C. Modalités de fonctionnement de la Twiza
Les personnes qui ont donné leur « Kelma » (accord verbal) se retrouvent, très tôt le matin, chez le Moul (bénéficiaire) qui va expliquer en quoi consiste exactement sa demande.
Il répartit les instruments de travail et la matière première et, après un café ou un thé, tous se mettent à la tâche. L’activité est entrecoupée de pauses au moment de la prière (Dohr et Asr) et prend fin au coucher du soleil.
Le travail dans une Twiza ne se fait pas sans musique, chants de Madh ou à thème portant sur l’entraide. Dans certaines régions (M’zab, Touat, Gourara) [16] une troupe musicale est spécialement invitée à la Twiza. La musique et le chant créent une ambiance de fête qui ne permet pas à la monotonie de s’installer quand le travail est trop répétitif (dessablement de la palmeraie, nettoyage des puits et Foggara, etc.). La Twiza est une situation de travail où « la joie et le plaisir d’être ensemble » doivent prendre le dessus sur la fatigue.
Le bénéficiaire assure obligatoirement [17] les repas de la journée. Le menu dépendra des moyens et peut aller de la galette avec beurre, dattes et laitages, jusqu’au méchoui, en passant par le couscous avec ou sans viande. Si le travail nécessite plusieurs jours, le cycle se répète avec les mêmes modalités. En dehors des repas et de quelques biens (matière première, fruits ou légumes, céréales..) qui ne sont pas obligatoires à donner, personne ne perçoit de salaire.
1) Structure et organisation de l’activité Twiza.
Les membres d’une Twiza sont équivalents et complémentaires. Chacun est responsable, aux yeux des autres, du travail qu’il accomplit. L’organisation est de type circulaire [18] autour de la tâche qui constitue le centre de l’activité. Il n’y a pas de “chef” mais un guide, un conseiller qui travaille autant que les autres membres du groupe. Chacun sait ce qu’il a à faire, pourquoi il le fait, comment et quand il doit le faire. Chacun est au courant de l’activité des autres.
Le travail est organisé par rapport à la finalité attendue et connue de tous parce que discutée par tous.
Avant toute activité dans une Twiza, il y a d’abord concertation afin que la division des tâches soit efficace. Le rôle de chaque membre est défini et délimité pour éviter toute perte de temps ou chevauchement et assurer, ainsi, une distribution équitable des tâches à accomplir.
La Twiza est une technique, un mode d’organisation du travail qu’utilise un groupe pour se consolider, se renforcer et faire de ce qui est difficile pour un individu seul (par manque de moyens) une réalité facile. L’échange fournit le prototype essentiel des relations entre les membres d’une Twiza. Elle est une sorte de contrat synallagmatique [19] .
2- Impacts psychologiques et psychosociologiques de la Twiza
Toutes les conditions qui consolident un groupe se retrouvent dans l’activité d’une Twiza :
a- l’intérêt que les membres ont en commun est assez puissant. Il est intériorisé et pris en charge. L’intérêt individuel devient collectif. Les participants savent [20] , par expérience, que leur interdépendance est plus que nécessaire à leur survie et à leur évolution ;
b- la connaissance de chacun par chacun assure une compréhension réciproque qui facilite la communication et favorise le passage des courants de sympathie. Cette situation permet de passer de la communication indirecte à la communication directe.
Les langues se délient et la confidence est facilitée. Les participants parlent de leurs problèmes, leurs difficultés, leurs besoins. Chacun sait qu’il sera écouté, conseillé, compris et surtout aidé. Vue sous cet angle, la Twiza devient un lieu, un espace exutoire. Les psychothérapies de groupe ne dérivent-elles pas de situation pareille ? Pour Kurt Lewin, le rendement et l’efficacité d’un groupe de travail sont étroitement liés à la solidarité des rapports interpersonnels de ses membres. La dynamique de groupe s’appuie sur le besoin d’affectivité et le besoin de sécurité (inclusion) et tout groupe, selon la conception de la psychologie sociale [21] , s’inscrit dans un mouvement de tension entre un danger commun et un objectif commun. Le groupe sera lié par une praxis par laquelle ses membres recouvrent l’usage concret de leurs possibilités et qui les met en état d’inventer des solutions nouvelles afin de transformer la réalité au lieu de la subir.
De ce point de vue, la Twiza à intérêt individuel ou collectif est une activité qui répond à la nécessité de consolider, de continuer et de sauvegarder la cohésion de toutes les personnes qui y ont recours, au détriment de l’individu [22] . Le groupe, nous dit Sartre [23] , pourchasse en son sein tout membre suspect de vouloir se retirer de l’action commune. Chacun est considéré comme un traître en puissance. D’où les conflits, les oppositions, les épurations qui visent à “liquider” le sériel en chacun au profit de la communauté, arrivant ainsi, à instaurer “l’obligation” de la fraternité. D’où le “serment” par lequel chacun s’engage à maintenir l’appartenance au groupe. Aussi, l’entraide s’avère un excellent test, à chaque fois renouvelé, pour mesurer le degré d’inclusion, d’adhésion et d’engagement des membres d’une collectivité à ses principes fondateurs. Elle permet de consolider la Muqawama (résistance) de la communauté : Une résilience identitaire.
La Twiza est l’occasion où se réalise l’interdépendance entre les membres d’un groupe, en cultivant la complémentarité qui permet de rentabiliser au maximum les différences, de reconnaître et de valoriser tout acte qui tend vers l’amélioration du bien-être collectif, d’assurer et d’assumer les traumatismes collectivement. La valeur de toute activité nous dit Alain Cotta [24] , n’est autre que son contenu social, autrement dit, sa contribution à la cohésion du groupe. Chaque individu donne et reçoit ce que les autres donnent [25] . La cohésion procède d’un comportement général de réciprocité et de reconnaissance partagée.
En conclusion, disons avec B. Berthavon Suttner, qu’après le verbe « aimer », « aider » est le plus beau verbe du monde » et qu’en matière d’assistance, les membres d’un groupe eux-mêmes se portent aide et soutien lorsque l’un d’eux est en difficulté. Il n’y a que l’homme orgueilleux qui dédaigne de porter assistance à son semblable » (C. de Sienne « la divine miséricorde. »
Pour l’Islam et son prophète, les membres de la communauté sont, comme pour le corps humain, les organes d’un même organisme, quand l’un est malade c’est tout l’ensemble qui en pâtit.
Enfin, à la mondialisation forcée qui oblige à la conformité au modèle Nord-américain l’ensemble de la planète, l’entraide, la coopération et l’assistance de ceux qui refusent ce modèle unidimensionnel doivent inévitablement prendre en considération les différences à mieux de jouer la complémentarité universelle.
Car ce que l’on retient de la Twiza, comme principe essentiel, c’est d’abord la reconnaissance de l’autre en tant que sujet « donneur » et « receveur » et, ensuite le « plaisir ressenti dans la solidarité » par l’entraide et la compassion, caractéristiques fondamentales de l’humain.

[1] Chargé de cours en Psychologie du travail et Organisation, et en Psychopédagogie à l’Université de Mostaganem
[2] La Twiza sera comprise par nous dans le sens suivant : « La Twiza est une structure organisée qui se crée par nécessité et qui s’estompe une fois le problème résolu, pour reprendre si nécessaire. Elle est un ensemble d’éléments interdépendants dont la complémentarité des différences crée la dynamique du développement. Dans ce sens elle est une unité fonctionnelle qui vise le dépassement d’un déséquilibre : c’est donc un phénomène psychosociologique qui s’inscrit dans les stratégies d’adaptation.
[3] l’enterrementBenchehida Mansour. “Le rituel et l’annonce de l’enterrement à Mostaganem”. Cette pratique se transmet père en fils et est en voie de disparaître faute de relève. Les jeunes ne voient pas d’un œil valorisant ces pratiques dites anciennes et ne correspondant pas à la modernité.
[4] amendeAli El Kenz ; Les Maîtres Penseurs, Alger, SNED, 1985, pp.65-70.
 Les modalités du droit coutumier (el ourf) font que les affaires ordinaires sont portées devant le “Mejless enniaba” ou devant l’assemblée de quartier (Houma) et l’assemblée plénière, si elles mettent en cause plusieurs fractions du village ou de la tribu. L’application de ce droit est assurée par la “Djemaa” chez les Kabyles et les tribus, “le Mejless-en-nouab” ou la “Halqua” au Mzab.
[5] soitN. Mahieddine : “Le Fiqh islamique et la formation du droit en Algérie” ; In The Maghreb Review, Vol. 13, 1988.
[6] La coutume est la religion islamique insistent beaucoup sur le respect et le soutien à apporter aux voisins. Cette consigne est inscrite aussi bien dans les adages, proverbes, sentences populaires que dans les hadiths : « Le croyant ou frère du croyant et doit l’assister dans la difficulté. L’aide est acte de piété que Dieu récompense ici bas et dans l’au-delà. » « Le meilleur d’entre les croyants est celui qui est toujours prêt à aider autrui dans les difficultés. » Le croyant est frère du croyant et doit l’assister dans la difficulté : « aider est un acte de piété que Dieu récompense ici-bas et dans l’au-delà. » ; « le meilleur d’entre les croyants est celui qui est toujours prêt à aider autrui dans la difficulté. »
[7] Au moment de la conquête française, les berranis (étrangers à la ville ou gens « du dehors » travaillant et sans domicile fixe) étaient divisés en corporations composées des individus de même race ou de même origine géographique, ayant chacune une spécialité distincte, et placées sous l’autorité de l’Amin (syndic) soumis lui-même à la surveillance du Caïd el bled (chef de la ville ou “maire”). « La conquête va relâcher ces liens consacrés par l’usage, et, l’activité des Amins ne survécut plus que comme souvenir. Le Gouverneur Général, par un arrêté du 31.01.1938 révoque tous les Amins en exercice, nomme d’autres Amins de son choix et réorganise les corporations des berranis. La Solidarité et le respect naturel deviennent institutionnalisés sous contrôle de l’administration coloniale (Art 7) et du responsable bénévole, l’Amin devenant un fonctionnaire de l’Etat français avec traitement fixe, qui a pour charge (Art.7), sous les ordres de l’autorité préfectorale, de la surveillance et la police des membres de sa corporation. Il est nommé par le gouvernement général, sur les propositions du préfet. Ainsi l’Amin passe, dans la perception des membres de la corporation du côté de l’occupant et sera désinvesti de leur confiance. La solidarité quitte la visibilité sociale pour intégrer, et pour la première fois, la dimension de l’informel et du secret.
[8] Code communal du 18 Janvier 1967
[9] Quotidien national « Horizon » du 17 - 04 - 1989.
[10] A. Gauthier, L’Algérie : Décolonisation-Socialisme-Industrialisation, éd. Bréat, Paris, 1976.
[11] Mouvement visant à expliquer aux petits paysans et aux paysans bénéficiaires (attributaires) le sens et la portée socio-économique et sociopolitique de cette réforme.
[12] Les nouvelles réformes politiques adoptées depuis la nouvelle Constitution (février 1989) visent à libérer toutes les formes d’entraide, de solidarité, d’union et d’associations. Avant cette date aucune structure ne pouvait exister sans la tutelle du F.L.N.
[13] Bourdieu et Sayad, Le déracinement, éd. Minuit, Paris, 1964.
[14] Hebdo. Algérie actualité, n° 1073 du 06 au 14 mai 1986.
[15] J. Penet, Industriels algériens, CNRS, Paris 1981. Ce phénomène est très ressemblant à l’entraide au Cameroun, connue sous le nom de « Tontine » (le Monde Diplomatique, mai 1986 p.10.)
[16] Les Ghomri dans le M’zab et les Karkabou dans le Touat et le Gourara.
[17] Les tawazines insistent beaucoup sur cet élément : « qui fait une Twiza assure au moins la Khobza »
[18] Voir Harian Berlewi “La symbolique du cercle”. Dict. des Symboles, Editions Seghers, 1973, p.302 et 303.
[19] Nous avons relevé plusieurs expressions qui permettent ce rapprochement. “Si l’acte est partagé c’est mieux, s’il n’est que d’un seul côté, cela ne peut durer”, “Nous sommes comme les dents du peigne qui ne peuvent fonctionner qu’ensemble”, “comme les doigts d’une main, ils sont différents et complémentaires”, etc...
[20] Dès l’enfance, l’éducation insiste sur l’importance de la conservation du lien entre les membres de la communauté (Umma). L’homme ne doit pas se couper de ses racines, “Errajel ma yefsalch jdourou”. La Twiza met en relation des personnes qui se connaissent déjà et qui partagent des valeurs et des croyances communes.
[21] D. Anzieu et J. Y. Martin ; La dynamique des groupes restreints, Paris, PUF, 1976.
[22] Les arguments en faveur de la Twiza (droit coutumier, chariaa, ou principes de “bon voisinage”) insistent beaucoup sur le fait que tout groupe (Gaoum, Djemaa, Houma, arch ou famille) ne peut survivre à l’égoïsme individuel.
[23] J. P. Sartre ; Critique de la raison dialectique, t.I, “Théorie des ensembles pratiques”, Paris, Gallimard, 1960.
[24] Alain Cotta, L’homme au travail, éd. Fayard, Paris, 1987, chap. III.
[25] Le système des phalanstères, que Charles Fourrier (1772-1837) a préconisé dans sa « théorie de l’unité universelle » (Œuvres complètes, T. II), expérimenté dès 1840 aux USA, n’a pas résisté à l’égoïsme individuel. IN. D. Anzieu et J. Y. Martin, op. Cit., p. 36.

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