Nna Nouara la rebelle
Nna Nouara
Ces terres étaient couvertes de fruits et de potagers, aujourd’hui il n’y a plus que des ronces. Ses propriétaires sont tous morts, décimés par la Guerre.Seule survivante de la famille, je l’ai travaillée, bêchée, entretenue tant que j’avais la force de la faire, aujourd’hui je ne peux que la regarder, mon cœur saigne chaque fois que mon regard l’embrasse. Notre gouvernement a achevé le peu qui restait. Ils paradent dans les villas, avec des voitures, des cravates et des costumes, les commerces, et nous nous n’avons même pas accès au gaz de ville. À 73 ans, je dois encore porter sur le dos les bouteilles de gaz et les fagots de bois.Cet État mériterait qu’on y mette le feu d’Est en Ouest.En Algérie, quand arrive le 1er novembre ou le 5 juillet ils accrochent les drapeaux pour se fichent de nous : « Nous sommes indépendants » alors que nos villages demeurent tels qu’ils furent du temps de la France : nos routes sont défoncées et personne pour les réparer, les ordures s’amoncellent en bordures des villages, autour de nous tout est pourri.
Refugiés aux sommets de nos montagnes, vers lesquels nous avons fuis, eux profitent, exploitent et construisent, avec l’appuie de « Boutefrika », sur nos plaines, nos terrains accessibles, pendant ce temps nous nous demeurons démunis, miséreux.
Nous sommes dans la misère dans ce pays, nous n’avons tiré aucun profit. Nos parents ont donné leur vie durant la guerre et l’indépendance venue c’est ceux qui n’ont pas combattu qui en profitent, ils ont récupéré la mise et investissent ici, et à l’étranger, pour leurs enfants. Aujourd’hui ils nous disent : Algérie, Algérie, Algérie. Moi, cette Algérie où je ne suis pas indépendante, je n’en veux pas !
Ils incendient nos villages et montagnes où nous sous sommes réfugiés, ils incendient nos vergers, nos potagers et nos maquis, rien n’est épargné ni nos oliviers, ni nos fruitiers, ni nos maquis, ils envoient les militaires qui nous incendient.
Nous ne voulons pas de leurs discours à la radio, à la télévisons, nous ne sommes pas dupes, nous ne sommes pas endormis. Si on parle de cela à ces dictateurs, ils nous sortent leurs CRS et autres tueurs.
Moi, je ne veux soutenir personne dans ce pays. Je ne soutiens ni ceux qui gouvernent ce pays ni ceux qui leurs font allégeance. Ils puent, ils sont faisandés, eux qui font que je porte encore les bouteilles de gaz et les fagots de bois, comme je le fais depuis que je suis née.
Nos terres sont à l’abandon, ceux qui auraient pu les travailler, les défraichir ont combattu, ils sont morts, ils sont enterrés, nos foyers ont été décimés, nos maisons incendiées, même nos animaux n’ont pas été épargnés. Aujourd’hui, on nous dit : l’Algérie. Qu’est-ce que cette Algérie ? L’Algérie, c’est la leur, celle dont ils profitent avec des étrangers. Ils ont fait alliance avec ceux qui nous avons délogés et d’autres. L’Algérie est spoliée par ceux qui se sont visés à leurs fauteuils. À 88 ans, à 100 ans, ils s’accrochent à leurs sièges et veulent nous commander jusqu’à notre mort, notre totale disparition. Qu’ils disparaissent eux, nous n’avons nullement besoin d’eux. Nous, nous sommes des gens de morale et de valeur, Ce pays est un pays d’Imazighen, hommes d’honneur et d’éthique. Nous sommes prêts à mourir pour notre honneur, notre langue, notre terre.
Nous survivrons à leur incendie, à l’incendie de nos terres, nous survivrons et contrarions leurs desseins.
Voilà ce que j’ai à dire, mon fils. Ce que je constate dans ce pays m’étouffe, m’enrage, me révolte. Le pire étant l’état d’hygiène et le pourrissement de nos villages, nos femmes charrient encore sur leur dos les ordures vers les ravins où ne survivent même plus les bêtes. Les figues et les fruits des vergers et des champs qui jouxtent les ravins sont toxiques. Dès que l’on s’approche des ravins ont se fait bouffer par les moustiques, et si l’on s’avise de manger les fruits de nos arbres proches, on récolte les maladies, le choléra, et les puanteurs. De tout cela, ceux qui candidatent aux élections ils n’en parlent pas, cela ne les préoccupe pas, ils ne savent rien de ce qui se passe dans nos villages. Ils ne nous apportent ni hygiène, ni liberté, ils ne se battent ni pour leur honneur, ni pour leur dignité, ni pour leur langue, ni pour leur culture. À chaque échéance électorale, ils accourent pour convaincre et soudoyer leurs descendants, enfants et petits-enfants puis ils les spolient.
Tu voulais m’enregistrer, je te raconte ce que je voie et qui inspire mon cogito. Du matin au soir, ma tête ressasse ce que voient mes yeux.
Durant la guerre, de fuite en fuite, nous avons fait le tour des villages sous les balles des Français, qui nous tiraient dessus où que nous soyons, nous avons perdu nos familles, nos parents, nos maisons ont été décimées.
Cette terre n’a plus ses propriétaires, ils ont tous été massacrés, même leur chien a été brûlé dans la maison incendiée. Cette terre, mon fils, la guerre a emporté ses propriétaires. La guerre, mon fils, a décimés les enfants de cette terre, l’un des fils est décédé, aspirant en Tunisie, un autre a été tué, après avoir été torturé, avec Belaïd Imakhoukène, pendant 15 jours. Au bout de quinze jours de tortures, ils leurs ont donné des pioches et des pelles pour creuser un trou où ils ont été jetés et mitraillés faute d’avoir parlé, avoué, dénoncé. Ils ont choisi de mourir sans trahir. Leur combat n’était pour cette Algérie dont nous sommes exclus, eux ils ont combattu pour leur dignité, leur honneur, leur terre, leur liberté.
Nous avons fait sortir la France, il nous reste le colonialisme. Ils se chamaillent entre eux et ils nous inventent de nouveaux partis et ils attisent la compétition à qui la spoliera en premier. 99 partis, va savoir si l’Algérie leur suffira, pour nous il ne reste rien.
Voilà, que te dire de plus, mon fils ? Tu voulais que je te parle, je te dis ce qu’il y a, car j’étouffe. J’étouffe, j’étouffe. J’étouffe de ce que voient mes yeux.
Dès qu’il y a un vote municipal ils accourent, les candidats au vol. À chaque vote de l’APN, ils se jouent de nos et nous inventent de nouveaux partis, des candidats achetés. Ils mettent sur le marché des candidats sans dignité ni honneur. Ils les étalent telles des pommes de terre au marché le jour du vote. Ils les étalent tels des cageots de pommes de terre. Ils instrumentalisent même des femmes, qu’ils payent, pour nous convaincre de voter pour eux.
Cette terre, qui hier produisait des richesses, de l’or, et dont les propriétaires sont mort durant la guerre, l’un à Tunis, et mon valeureux père ainsi que mon valeureux frère ne sont plus, ces lions qui ont redonné vie à l’Algérie. L’Algérie d’aujourd’hui pue, je n’en veux pas.
Ô mon cœur ! Ô terre des ancêtres ! On s’est retiré des plaines et ils nous poursuivent jusqu’ici pour incendier nos maquis et nos vergers.
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Azul !