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L’ECRITURE BERBERE : LIBYQUE ET TIFINAGH

L’ECRITURE BERBERE : LIBYQUE ET TIFINAGH

Les Berbères possèdent une écriture alphabétique (consonantique) qui leur est propre depuis l'Antiquité. Les inscriptions les plus anciennes qui aient pu être datées remontent au VIe siècle avant J.C. Cette écriture est attestée durant toute l'Antiquité, aux époques punique et romaine. Elle est précisément mentionnée par des auteurs latins tardifs du V et VIe siècle après J.C. Les auteurs arabes médiévaux n'évoquent jamais l'existence d'une écriture chez les Berbères ; on peut donc raisonnablement penser que celle-ci était sortie de l'usage au Maghreb avant l'établissement définitif des Arabes (début du VIIIe siècle). Sa disparition dans la zone Nord du monde berbère se situerait donc entre ± 600 et ± 700 après J.C.
En revanche, son utilisation a perduré chez les Touaregs qui la dénomment tifinagh. Chez eux, cette écriture a des fonctions essentiellement ludiques et symboliques ; elle n'a pas servi à fixer la mémoire historique ou la littérature de ce groupe.
Son usage était également limité durant la période antique (où elle dénommée "écriture libyque" car les Anciens appelaient "Libye" l’ensemble de l’Afrique du Nord) ; elle ne nous est parvenue qu'à travers des inscriptions funéraires et votives. Malgré cette forte limitation de ses fonctions, il s'agit bien d'une véritable "écriture nationale" des Berbères puisqu'on en rencontre des traces dans toute l'aire d'exten-sion de la langue berbère : de la Libye au Maroc, de la Méditerranée au Sahel.
L'origine de l'écriture berbère reste obscure et controversée. L'hypothèse d'une genèse locale spontanée, sans aucune influence externe, doit certainement être écartée car il n'y a pas au Maghreb de tradition d'écriture pré-alphabétique (syllabique ou idéographique) qui autoriserait à retenir l'idée d'une formation totalement indigène: l'alphabet ne peut naître brutalement sans un long processus antérieur de perfectionnement à partir d'autres types d'écriture. En fait, tout un faisceau d'indices ob-jectifs va dans le sens d'une formation endogène, sur la base de matériaux locaux non alphabétiques, sous l’influence forte d’un alphabet sémitique, probablement le phénicien ; une création par imitation en quelque sorte, processus dont on connaît d’autres exemples avérés en Afrique de l’Ouest et en Amérique du Sud, notamment, où des groupes humains en contact avec d’autres peuples pratiquant l’écriture (Arabes, Européens) ont inventé, quasiment de toutes pièces, leur propre écriture.
Comme la langue, l'écriture berbère n'est pas absolument unifiée : elle connaît un assez grand nombre de variantes, à travers le temps et les régions. Pour les périodes anciennes, on distingue au moins trois alphabets différents (libyque occidental, oriental et saharien) ; dans la période contemporaine, chaque confédération touarègue utilise un alphabet légèrement différent de celui des groupes voisins. Ces variations s'expliquent à la fois par une adaptation aux particularités phonétiques locales et par la durée d'existence de cette écriture qui a induit d'inévitables évolutions et adaptations.
A partir des années 1970, à l’initiative d’un groupe militant kabyle basé à Paris, "l'Académie Berbère", on a assisté à une véritable renaissance de ce vieil alphabet berbère qui est employé, dans une version fortement modernisée, pour la notation usuelle du kabyle. Insérés dans une aire de vieille culture scripturaire, les Berbères ont depuis toujours vu leur langue et leur culture dévalorisées par leur statut d'oralité. Situation qui a induit dans la période contemporaine une réaction très volontariste visant à démontrer que « le berbère ça s'écrit ! ». C'est ainsi que l'on peut ex-pliquer l'existence dans la sensibilité berbère de ce courant qui prône le retour au vieil alphabet berbère (les tifinagh), qui présente le double avantage de marquer l'appar-tenance historique incontestable de la langue berbère au monde de l'écriture et d'assurer la discrimination maximale par rapport aux cultures environnantes puisque cet alphabet est absolument spécifique aux Berbères. En exhumant cette antique écriture – sortie partout de l'usage depuis des siècles, sauf chez les Touaregs – ces militants se donnent une arme particulièrement efficace dans un environnement où l'écriture est mythifiée, voire sacralisée. Et comme cet alphabet berbère est attesté depuis la protohistoire, les Berbères accèdent ainsi à l'Histoire et à la Civilisation, antérieurement à la plupart des peuples qui ont dominé le Maghreb, notamment les Arabes ! Les tifinagh permettent aux Berbères de ne plus être catalogués parmi les Barbares et autres primitifs, pour qui la seule alternative est de se fondre dans les "grandes" cultures (écrites), en l'occurrence la culture arabo-islamique... C’est ce qui permet de comprendre l’envahissement de l’espace public en Kabylie notam-ment par cette écriture, y compris au niveau de la signalétique officielle municipale.
Ce sont certainement ces deux facteurs (historicité et spécificité) qui fondent l'engouement pour les tifinagh non seulement en Kabylie, mais aussi dans toutes les autres régions berbérophones (Maroc, domaine touareg), surtout dans les milieux militants et populaires. Il est d’ailleurs amusant de constater que plus de 30 années après leur mise en circulation par des militants radicaux kabyles, l’institution marocaine adopte ces "néo-tifinagh" comme alphabet officiel du berbère (décision de l’Institut Royal pour la Culture Amazigh) : les précurseurs de l’"Académie berbère" de Paris n’espéraient certainement pas un tel succès!

S.CHAKER

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