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Malika Domrane mémoire

Malika Domrane : L’engagement sans faille

D’un zoum arrière, je visite hier pour me relire dans mes souvenirs. Je me souviens de ce 20 avril 1980. Après l’annulation de la conférence de Monsieur Mouloud Mammeri, les gens mécontents sortaient dans la rue dire leur colère. Très rapidement la ville de Tizi-Ouzou s’animait.
Des groupes se formaient chacun vaquait pour le mieux. De nombreux rassemblements se produisaient.
J’y étais. J’avais pris part à l’organisation des manifestations, intégrant dans un premier temps le comité de vigilance de l’université et quelques jours après celui de l’hôpital de Tizi-Ouzou où j’exerçais comme infirmière.
Les bottes des militaires claquaient. Ils venaient déranger le calme habituel de la ville, cherchant à disperser les foules par l’usage de bombes lacrymogènes et de canons à eau bouillante.
Je me souviens de ce 20 avril 1980.
J’avais participé à la genèse et à la réalisation de la grève des hôpitaux de Tizi-Ouzou et d’Azaga.
J’activais pour convaincre les hospitaliers de l’intérêt de cette grève pour dénoncer l’injustice subie par le peuple Kabyle.
Je me souviens de ce 20 avril 1980.
Après plusieurs jours de manifestations, de grèves, de revendications, pour éviter l’essoufflement du mouvement, j’encourageais tout le monde à poursuivre nos actions et à montrer aux gouvernants de ce pays notre détermination.
Je relayais les discours, j’animais les conversations, je boostais les camarades. Entre temps, je portais et distribuais les tracts bravant toutes les peurs, en particulier la peur du gendarme.
Sur la demande de certains, souvent de ma propre initiative, je me mettais à chanter pour entretenir la forme et la force des militants que j’entraînais dans mon élan.
De retour du lycée polyvalent où j’avais chanté, j’étais poursuivie par les agents de la SM à bord d’un véhicule passat beige banalisé. Il avait fallu usé comme d’autres fois d’un subterfuge pour échapper à leur vigilance, déguisée en patiente à mon arrivée à l’hôpital. Pour celà je remercie encore et toujours, ce courageux lycéen qui m’avait raccompagnée à 2h du matin avec la voiture de son père, la malle pleine de tracts. Il avait plus peur pour moi que pour lui.
De même je n’oublie ce monsieur de Tamda qui, à mon retour à Tizi après l’arrestation d’Alger m’avait ramenée chez moi, dans sa voiture coursée par une autre voiture banalisée.Celle-ci, suspecte, cherchait à provoquer un accident sur le pont de Oued Aissi.Qu’ils trouvent tous les deux dans ce témoignage toute ma gratitude.
Dans cette même nuit- là, à quatre heures du matin, les CRS avaient pris d’assaut l’université pour agresser les étudiants, les violenter et arrêter les meneurs.
Quelques jours après, je m’étais rendue à Alger, invitée à une émission de grande écoute de la chaîne kabyle de la RTA. Les étudiants m’avaient confié un camarade porteur d’un paquet de tracts, fils de martyrs de la Guerre de libération, venu d’une autre région berbèrophone. A l’antenne, surveillée et censurée par le malicieux animateur, j’avais pu coder des messages à l’adresse des étudiants pour les rassurer de la mission accomplie.
Peu après, sur dénonciation, les services de sécurité militaire recherchaient des personnes dont le nom figurait sur leur liste. Je fus arrêté à l’aéroport d’Alger, amenée au commissariat central pour un interrogatoire musclé.

 Fille de bonne famille, militante pour la liberté et les droits, je me retrouvais enfermée dans la cellule n°1 comme une vulgaire coupable.
Plus tard, par hasard, un jour, à peine arrivée à l’aéroport de maison blanche, je rencontrais quelqu’un qui m’informait de l’arrestation de Matoub, au passage de la PAF lui aussi en partance pour Paris sur le vol précédant le mien. Je m’approchais de lui pour le saluer et lui exprimer mon soutien, il m’avait répondu: « Ce sont eux ! Eloigne -toi! »
Rapidement, les policiers s’approchaient de moi pour m’arrêter à mon tour. Ils croyaient que nous étions complices d’un départ à l’étranger, attisant leur suspicion.
Nous avions passé 48h au commissariat central d’Alger, interrogés sur nos activités et nos projets pour la cause berbère.
Malgré toutes leurs techniques d’investigations, les plus poussées, les plus pernicieuses et les plus intimidantes, ils n’avaient rien obtenu. Ils étaient restés sur leur faim. Quant à nous Matoub et moi, nous étions de marbre dans notre attitude digne.
Par la suite, dans un rituel inébranlable, je me faisais arrêter et interroger par la police à chaque passage à l’aéroport ou par la gendarmerie dans les galas et sur les différentes routes de Kabylie. Arrestation sur arrestation, pression sur pression, persécution sur persécution, rien n’y faisait, rien n’atteignait la blanche colombe, toujours libre comme l’air.
A toi Matoub, je te dis aujourd’hui ce que tu savais hier. Je suis persuadée, que, de là où tu es, tu m’entends: » Ceux qui servaient Tamazight, la servent encore et ceux qui s’en servaient s’en servent encore ».
A vous, femmes et hommes célèbres et-ou anonymes, qui aviez milité avant le 20 avril et qui aviez contribué dans un mouvement populaire à la naissance du Printemps Berbère dans son identité sociale et culturelle: Je vous rends hommage.
Pour ma part, je ne regrette rien. Je le referai. D’ailleurs, je n’ai pas arrêté de militer, je n’ai pas arrêté de chanter, de chanter engagé.
Ma voix portera, bien au loin, les messages de bonheur à ces jeunes générations.
Par ma voix, je chanterai encore dans ma langue, ma langue maternelle, cette langue pour laquelle j’accepterai de mourir.
Paix et gloire à tous les camarades de lutte.
Et le combat continue…

Paris Avril 2008  Malika Domrane

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