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Ainsi parlait Mohia…

Ainsi parlait Mohia…


Il n’aimait pas les incantations. Ses messages, il préférait les marier à son génie littéraire pour en faire des poèmes et adapter des pièces de théâtre, au grand bonheur d’une langue qui démontrait ainsi qu’elle pouvait prétendre à l’universalité.
Mohia parlait donc peu. Une seule interview, vraisemblablement, durant toute sa vie. Réalisée en 1985 par Hend Sadi pour “Tafsut”, la revue du Mouvement culturel berbère durant les années 1980. Cette interview, outre qu’elle est encore d’actualité, restera donc une référence essentielle pour qui voudrait cerner le personnage Muhend Uyehya, le poète et le dramaturge.

Morceaux choisis.
Adaptation (d'œuvres littéraires)
“L’adaptation d’auteurs étrangers, c’est personnellement de ce côté que j’ai trouvé une issue. Évidemment, je n’ai qu’une petite expérience en la matière, aussi faut-il bien se garder d’en tirer des conclusions hâtives (…) La pratique de l’adaptation offre des possibilités réelles de tirer profit de l’expérience des autres. Entendons-nous bien, je dis tirer profit de l’expérience des autres, je ne dis pas mimer stupidement les autres. Car l’adaptateur est celui qui s’intéresse en premier lieu au canevas sur lequel est construite une œuvre, aux procédés d’élaboration, aux mots clés et à la structure de celle-ci. Ceci lorsque l’œuvre en question semble faire écho à ses préoccupations, bien entendu. Ce qui suppose encore un choix conscient de sa part, cela va de soi. Ce n’est donc qu’après avoir disséqué une œuvre, pour en percer les secrets, que l’adaptateur procède au travail d’adaptation proprement dit, c'est-à-dire à la reconstruction de celle-ci au moyen de matériaux qu’il puise dans son environnement culturel. Il est visible qu’en fin de compte, la mise en œuvre de ces matériaux donne du même coup à l’adaptateur le moyen d’ancrer et finalement d’inscrire son ouvrage dans son propre univers culturel.”
Langues (de pain et de… pédants)
“Il fut un temps où l’arabe classique aussi bien que le français conféraient à ceux qui les possédaient prestige et sécurité de l’emploi. Or, tel n’est plus le cas aujourd’hui où l’arabe classique devient une langue de pédants et où nous voyons tant de bacheliers ne trouver, au mieux, qu’à s’employer comme veilleurs de nuit à Paris. La langue redevient de fait, et ce, aux yeux de la plupart des gens, ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, c’est-à-dire un outil de communication et rien de plus. Alors, outil de communication pour outil de communication, pourquoi pas la langue maternelle ? Ceci pour dire que s’il reste une seule chose qui puisse présider au choix d’une langue, c’est uniquement le souci de se faire entendre de telle ou telle catégorie de gens. On peut aussi, bien entendu, choisir de s’exprimer dans une langue pour plaire à certains ou encore pour déplaire à d’autres (…)”
Vie culturelle (d’expression populaire)
“Il n’est pas du tout impensable qu’une vie culturelle d’expression populaire — une vie culturelle digne de ce nom, je veux dire — puisse voir le jour chez nous. Cela dépend en premier lieu des efforts que fournit chacun de nous pour se réapproprier sa langue maternelle. Le reste est une question d’intendance et une question de techniques, (littéraires, techniques audio-visuelles, etc.) Or, l’intendance, cela s’organise et les techniques s’acquièrent.”
Facilité (au travail)
“(…) Je n’ai jamais pu travailler dans des conditions, disons très propices. Mais ne nous étalons pas là-dessus car des conditions trop faciles font souvent qu’on se complaît dans la facilité justement. Donc, travaillant dans des conditions relativement peu favorables, il m’a toujours paru plus aisé d’adapter des auteurs étrangers que de noircir des pages et des pages de mon cru. C’est une façon de se faire mâcher le travail pour ainsi dire.”
Berbérité, berbérisme (le piège des fausses sécurisations)
“Il s’agit pour nous de devenir pleinement adultes ou d’en rester à l’âge infantile, c’est-à-dire à l’âge où l’on a besoin, parce que dépassés par les évènements, de s’entourer du cocon douillet de fausses sécurisations. Celles-ci revêtant des formes diverses bien entendu. Au-delà de nos “traditions littéraires”, c’est aussi le berbérisme de “l’Oasis de Siwa jusqu’aux Îles Canaries” chez nous encore, mais aussi l’arabo-islamisme, et puis tous ces rêves, bien sûr, qui puisent leur consistance dans le désir de changer le monde avec des mots.”
Confinement (identitaire)
“Quelle que soit notre susceptibilité, il faut bien admettre que nous sommes déjà suffisamment en retard comme cela (…) Notre culture traditionnelle est à bien des égards encore une culture moyenâgeuse, donc inopérante dans le monde d’aujourd’hui. Et d’aucuns veulent encore nous ramener au temps de Massinissa !”
Monde (comment s’y faire une place ?)
“Le monde étant mouvement, mouvements des hommes, des biens, des idées, nous devons bien au contraire chercher à dominer ces mouvements si nous ne voulons pas être mis sur la touche. Aussi devons-nous chercher par tous les moyens à nous tenir au fait de ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui, et cela si nous avons simplement pour ambition d’être de ce monde. Or, si j’ai bien compris, non seulement c’est là l’ambition de notre société, mais celle-ci encore veut être de ce monde sans pour autant se voir assimilée ni aux uns ni aux autres. II tombe sous le sens que ceci nous commande donc de travailler et retravailler nos langues vernaculaires de telle sorte qu’elles puissent nous faire accéder à tous les domaines de la connaissance.”
Poésie (la sienne)
“Je crois que je ne me suis jamais senti l’âme d’un poète. Je suis peut-être un grand naïf, mais pas à ce point (…) En abordant le terrain de la poésie, j’avais tout à fait à l’esprit que c’était là un genre particulier, puisque celui-ci jouit chez nous d’un statut privilégié. Donc, qui dit statut privilégié dit possibilité d’établir rapidement le contact avec le public et ce, afin de l’intéresser, autant que faire se peut, à la suite des évènements. La suite des événements étant dans mon esprit tout le travail qui devrait finalement aboutir à l’instauration d’une tradition littéraire moderne et diversifiée, c’est-à-dire d’une tradition littéraire au sens le plus complet du terme.”
Faiblesses (les nôtres)
“C’est nous-mêmes surtout qui sommes responsables de la majeure partie de nos déboires. Et j’essaie, partant de là, de lever le voile sur nos faiblesses, tout au moins les plus criantes d’entre elles. Car, si au préalable nous ne localisons pas nos faiblesses, je me demande comment nous pourrions un jour les surmonter.”
Dérision (omniprésente dans ses œuvres)
“On ne peut s’assumer vraiment en jouant à des jeux dont on ignore les règles, ou encore à des jeux dans lesquels les dés sont pipés d’avance. Je ne peux dès lors que m’amuser à déceler la faille dans ce qui nous est proposé par ailleurs. Se moquer de nos faiblesses, de nos illusions, prendre à contre-pied les idées reçues, pousser certains raisonnements jusqu’à l’absurde, démythifier ce qui nous entoure, c’est finalement ce à quoi je m’amuse le plus souvent (…) D’où ce ton de la dérision qui accompagne à peu près tout ce que j’ai pu faire.On pourrait se demander s’il n’y a pas dans le ton de la dérision quelque chose de salutaire. On voit tellement de choses qui donnent envie de pleurer. Or, il ne sert à rien de pleurer (…).”
Emprunts (linguistiques)
“Les mots que nous empruntons à l’arabe et au français, je crois qu’ils témoignent tout simplement du déséquilibre des échanges que nous entretenons avec les sociétés qui nous entourent. En dernier ressort, il faut quand même dire aussi qu’il vaut encore mieux emprunter un vocable à une autre langue que rester muet.”
Oralité (choix ou fatalité ?)
“L’oralité étant encore une des caractéristiques de notre langue vernaculaire, la publication sous forme de cassettes audio et/ou vidéo est encore ce qui correspond le mieux aux exigences de l’heure. Ceci dit, il va de soi en réalité que le problème de l’écrit entre aussi dans mes préoccupations (…) II reste que pour régler la question de l’écrit de manière définitive, il conviendrait peut-être de se pencher sérieusement sur les deux points suivants : premièrement, celui de la notation des intonations, ceci sur le plan purement technique, et, deuxièmement, celui de l’analphabétisme ambiant, lequel malheureusement sévit encore au niveau de notre société. Toujours est-il que je publierais volontiers par écrit si le manque de temps ne m’en empêchait.”

Par Saïd Chekri

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