Poterie amazighe
Poterie amazighe
Le domaine de la poterie amazighe féminine s’étend d’Ouest en Est, du Maroc (Moyen-Atlas et Rif) à la Tunisie et couvre le Nord de l’Algérie, de la région d’Oran, aux Aurès et à la Petite Kabylie. L’exposé est essentiellement consacrée à la Kabylie, berceau de la production la plus raffinée des Amazighs.
Les Amazighs sont les premiers habitants de l’Afrique
du Nord. Dans les régions montagneuses, l’influence exercée par les
Phéniciens et les Grecs est restée très superficielle et si la population a adopté l’Islam, il n’en reste pas moins qu’elle a conservé
bon nombre de croyances et de pratiques transmises de génération en
génération depuis la Préhistoire. Les femmes des sociétés rurales
nord-africaines, à la fois potières et tisseuses, sont dépositaires
d’une culture et d’un savoir-faire ancestral qui tend aujourd’hui à se
perdre avec l’exode rural et le développement économique.
La poterie féminine amazigh n’utilise ni le tour ni le
four. Modelée à la main et cuite à l’air libre, elle est plus proche
des objets de fouilles trouvés dans des sépultures mégalithiques
d’Afrique du Nord que de la poterie antique méditerranéenne tournée et
cuite au four. La fragilité et l’utilisation quotidienne de ces objets
expliquent que l’on ne dispose pas d’exemplaires antérieurs au 19ème
siècle.
C’est l’archaïsme des techniques de fabrication qui en
fait l’antiquité. Les motifs géométriques qui ornent ces poteries - que
l’on retrouve sur les textiles et les tatouages des femmes - sont
porteurs d’une signification symbolique dont l’origine remonte à
l’époque néolithique et que l’on retrouve dans tous les continents.
Cet art traditionnel original est en résonance avec la sensibilité
contemporaine. À la fonctionnalité et à la beauté de ces objets,
s’ajoute leur dimension sacrée immémoriale.
Formes et fonctions
Les familles rurales possèdent un grand nombre de récipients en terre cuite parmi lesquels on peut distinguer 4 catégories : les jarres, les cruches et les pots pour le transport et la conservation, les ustensiles utilisés pour la cuisson des aliments, la vaisselle de service à table et enfin les objets dont l’usage n’est pas lié à l’alimentation : les lampes à huile principalement. Dans un pays où l’approvisionnement en eau était (et reste parfois encore) un problème quotidien, il n’est pas surprenant que les poteries utilisées pour le transport, la conservation et le service de l’eau soient très nombreuses et très variées.
Les grandes jarres sont utilisées pour transporter
l’eau depuis la source ou le puits jusqu’à la maison. Elles évoquent les
amphores grecques ou romaines de formes très voisines. Mais l’usage est
différent : au lieu d’être fichées dans la terre ou dans la cale des
bateaux où elles étaient remplies de grains, d’huile ou de vin, ces
jarres à eau sont portées sur le dos, la base effilée passée dans la
ceinture et les deux anses tenues en main. À titre anecdotique, on peut
signaler que des potières de Grande Kabylie ont aussi fabriqué de
magnifiques jarres, dénommées alors « amphores », pour répondre à la
demande d’objets décoratifs des Français qui les installaient sur leurs
buffets ou leurs cheminées.
Certaines jarres,, contenaient aussi du lait ou de
l’huile. Quant à la belle jarre appelée « cruche », il est possible
qu’elle ait joué un rôle culturel de vase à offrande votive.
Pots, cruches et gargoulettes
Les récipients pour servir l’eau à table - les
pots, les cruches, les pichets et les gargoulettes - présentent une très
grande variété de formes et de décors. Les pots, le plus souvent à deux
anses, et les cruches servent aussi à conserver et à servir le lait et
l’huile. La gargoulette est une véritable spécialité de la poterie
amazighe et plus spécialement de la Grande Kabylie. Dans sa version la
plus simple, c’est un récipient composé d’une panse, d’un goulot de
remplissage et d’un bec verseur. C’est un pot à eau portable, d’une
contenance d’un demi à 2 litres, utilisé pour verser l’eau ou pour boire
à la régalade. Elle permet de conserver l’eau fraîche grâce à
l’évaporation capillaire au travers des parois.
Avec la lampe à huile, la gargoulette est l’un des
deux objets qui témoignent des inventions formelles les plus
extraordinaires de la part des potières. La diversité de ses formes est
remarquable. Il existe aussi des doubles gargoulettes, comme celle de la
dernière image. Le côté utilitaire semble parfois secondaire par
rapport à l’aspect décoratif. Avec la diversité et l’audace de ses
formes, la personnalisation de son décor, toujours bien assorti à la
forme, la gargoulette apparaît comme l’objet emblématique de la poterie
amazighe algérienne.
Si la plupart des gargoulettes proviennent de Grande Kabylie, les pots
et les cruches illustrent des styles issus de régions différentes.
Conservation et préparation des aliments
Les céréales constituent la base de l’alimentation
des familles, complétées de légumes, de fruits et de laitage. L’huile
et la graisse de mouton apportent le complément de matières grasses. La
volaille et la viande sont rares et plutôt réservées aux jours de fête
où elles agrémentent le bouillon de légumes servi avec le couscous,
véritable plat national dont la consommation, avérée dès le 15ème
siècle, pourrait remonter à l’Antiquité.
Le principal repas était le repas du soir. Dans la
famille patriarcale, les hommes étaient servis par les femmes qui ne
mangeaient qu’ensuite avec les grandes filles et les jeunes enfants. On
mangeait à même le sol, assis sur une natte, autour du plat collectif.
Le service était très codifié. C’est la femme la plus âgée qui servait
les mets préparés par une autre.
La semoule du couscous était disposée dans un grand plat, la viande,
lorsqu’il y en avait, dans un plus petit et le bouillon de légumes dans
un pot. Les aliments solides sont déchirés et mangés à la main, comme
les morceaux de galette et les bouillies roulées en boule. La soupe et
le couscous arrosé sont consommés à l’aide d’une cuiller. On boit à tour
de rôle dans un même pot, à la régalade s’il s’agit d’une gargoulette.
Le couscoussier dans lequel la semoule cuit à la vapeur est posé sur la
marmite où l’eau est chauffée par un réchaud.
Il existe aussi des plats utilisés pour la cuisson des
galettes et du pain. Mais aussi des pots à eau, à bouillon ou à lait,
provenant de diverses régions notamment de Grande Kabylie, de la région
de Tlemcen et de la Petite Kabylie.
Certains pots à bouillon comportant une anse en demi-cercle sont
remarquables par la pureté de leurs lignes.. Le biberon est une petite
gargoulette. La cruche à tête zoomorphe est en fait une théière
originaire de la région de Tlemcen dont les couleurs et les motifs
rappellent les poteries du Rif (Maroc).
La nourriture, en particulier le couscous, est
présentée dans des plats où chacun se sert. Des assiettes, plus petites,
comme celle de la première photo, sont destinées à recevoir l’huile, le
beurre et le miel ou à servir le couscous aux enfants. Ces plats sont
très richement décorés. Ils sont réservés aux grandes occasions :
mariages et fêtes religieuses.
Plats de fête
Les plats les plus spectaculaires proviennent de
Grande Kabylie; ils se caractérisent par leurs grandes dimensions et
leur décor riche et harmonieux. Ces plats de fête de Grande Kabylie sont
caractérisés par un engobe blanc cassé ou bistre sur lequel se
détachent le brun et le rouge des motifs géométriques, le plus souvent
des losanges, des triangles et des damiers. Quand ils ne sont pas
utilisés, ces plats ornent les étagères des maisons aux côtés des lampes
à huile et des gargoulettes.
La pâte avec laquelle on enduit les pieds et les mains de la mariée est
placée dans les coupes. Dans les plats à compartiments, les invités à la
noce déposent 3 œufs, du couscous et des dattes, en signe de
bénédiction des époux. Les grandes lampes à huile, comptent parmi les
réalisations les plus spectaculaires de la poterie féminine amazighe,
tant par leurs formes complexes que par l’abondance de leur décor. Leur
monumentalité et la richesse des motifs qui les décorent s’accordent à
leur rôle de bénédiction religieuse et magique du mariage. La lampe à
huile est l’objet prestigieux porté devant le cortège de la mariée et
l’objet magique déposé dans la chambre nuptiale où il protège les jeunes
mariés et leur assure la fécondité.
Mariage
Les lampes à huile à une seule bobèche, de proportions plus modestes, comme celle de la quatrième photo, sont allumées dans les maisons pour les génies protecteurs du foyer, à l’occasion des veillées mortuaires et, lors des fêtes religieuses ou de la fête de l’Achoura, dans les lieux vénérés objets de culte populaire.Symbolique
Marc Garanger, photographe, s’était intéressé à la
situation des femmes en Algérie. Il était en Algérie en 1960 pour son
service militaire. L’armée française avait décidé que les autochtones
devaient avoir une carte d’identité française pour contrôler leur
déplacement dans les villages. Il a fait dans ce contexte beaucoup de
photos, essentiellement de femmes.
Le rapprochement entre les différents objets, quant à
lui, permet de constater que l’on retrouve sur les textiles et les
tatouages les motifs géométriques peints sur les poteries : les
chevrons, les triangles, les losanges et les zigzags par exemple. Ces
motifs ont traversé les âges depuis l’époque néolithique et les
spécialistes s’accordent pour considérer que ces signes relèvent d’une
intention magico religieuse : conservation de soi et de l’espèce,
fertilité de la terre et des hommes, culte des morts, magie protectrice.
Aujourd’hui, leur signification se perd et les potières interrogées ne
souhaitent pas dévoiler leur sens ou bien l’ignorent et les assimilent à
des objets de leur entourage ou à des éléments du paysage environnant.
Parmi ces motifs, on trouve en particulier : le
zigzag, image de l’eau fécondante ; les décors de losanges et de
triangles associés à la fécondité des femmes et à la fertilité de la
terre ; les chaînes de triangles, figures de la fécondité des femmes, de
la copulation ou de l’accouchement ; ils sont aussi associés à la
symbolique du nombre 3 qui apparaît dans les religions et les rites
divinatoires. Le serpent, symbole de la virilité, mais aussi de la
régénération, est également un talisman contre les esprits du mal.
On remarquera également le scorpion menaçant et
protecteur ; les étoiles et les semis de points en cercle que l’on peut
interpréter comme les représentations du soleil et de la terre et de la
source de vie, de la chaleur et de la lumière ; le carré, image des
aires de culture et des grains ; la croix, emblème du monde terrestre
avec ses 4 points cardinaux et ses 4 saisons ; et l’arbre de vie,
symbole de la famille et de l’abondance sur terre.
Artistes
Nous connaissons les noms des artistes qui ont réalisé des poteries anciennes parce que les administrateurs ou les ethnologues qui ont collecté ces œuvres ont pris la peine de noter leurs auteurs. Cette situation est exceptionnelle. En effet, les potières travaillaient pour les besoins de leur famille et ne cherchaient pas d’autre reconnaissance que l’estime de leur entourage en particulier des autres potières de leur tribu.
Aujourd’hui, la pratique de la poterie traditionnelle
est en voie d’extinction et ne subsiste plus que dans quelques villages
isolés de montagne. Une production nouvelle, destinée aux amateurs
étrangers a fait son apparition. Elle ne manque pas de charme,
d’exubérance et d’humour et témoigne encore de l’habileté des potières
et de leur capacité à intégrer des éléments de la vie moderne dans le
choix des motifs décoratifs avec l’apparition d’avions ou d’automobiles.
En marge de cette production commerciale se développe
un art de la céramique puissamment original, enraciné dans la tradition
millénaire et ouvert à l’utilisation de techniques nouvelles. Les
créations de Ouiza Bacha et de Fatima Kerrache,
présentées dans l’exposition au musée du quai Branly à Paris,,
témoignent de ce renouveau et de cette fidélité aux valeurs ancestrales
de son peuple.
Aucun commentaire
Azul !